Charles Plumier

Les dessins du père Plumier aux Antilles

<em>Description des plantes de l’Amérique avec leurs figures par le Révérend Père Charles Plumier</em>, Paris, Imprimerie royale, 1693, fig. LII
Description des plantes de l’Amérique avec leurs figures par le Révérend Père Charles Plumier, Paris, Imprimerie royale, 1693, fig. LII© Bibliothèque nationale de France.

Charles Plumier (1646-1703), moine minime et botaniste

Né à Marseille en 1646, Charles Plumier entre à seize ans dans l’ordre des Minimes, embrassant une carrière religieuse qui lui permet d’accéder à des études poussées malgré la modestie de son milieu familial. Envoyé par son ordre poursuivre ses études à Rome, il démontre des talents de peintre et de sculpteur et se prend de passion pour la botanique sous l’influence du savant italien Paolo Boccone. De retour en France, Plumier herborise en Provence et dans le Languedoc et se lie d’amitié avec plusieurs botanistes dont l’Aixois Joseph Pitton de Tournefort, futur professeur de botanique au Jardin du Roi et membre de l’Académie des sciences.

Ces liens personnels ainsi que sa réputation d’excellent botaniste doublé d’un dessinateur de talent lui valent d’être désigné pour un voyage vers l’Amérique. En 1687 en effet, Guy-Crescent Fagon, intendant du Jardin royal des plantes médicinales (qui précède le Muséum national d’Histoire naturelle fondé en 1793), et Michel Bégon, grand officier de la Marine royale très versé dans la botanique, reçoivent du roi l’ordre d’organiser une expédition dans les Antilles françaises. Le père Plumier est choisi pour accompagner le médecin Joseph Donat Surian et le seconder dans cette mission en dessinant et répertoriant la flore et la faune des îles.

Charles Plumier rapporte de ce séjour des centaines de dessins, dont la qualité esthétique et scientifique est remarquée. Il reçoit le titre de Botaniste du roi ainsi qu’une pension de la Couronne. Il obtient en outre de faire éditer une partie de son œuvre, accompagnée de descriptifs botaniques, sous le titre Description des plantes de l’Amérique (1693). Sur ordre du roi, Plumier repart dans les Antilles en 1689 et à nouveau de 1694 à 1697, herborisant et dessinant inlassablement les plantes et animaux de la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Domingue…

De retour à Paris, installé au couvent des Minimes de la place Royale, il compile notes et dessins et grave des centaines de plaques reproduisant ses œuvres en vue d’une vaste publication. Son travail est alors largement reconnu, notamment par les botanistes du Jardin du Roi. Créant de nouveaux genres pour classer les espèces végétales, Charles Plumier leur attribue les noms d’illustres personnages qu’il admire. Il invente ainsi la dédicace botanique : le Begonia est dédié à l’officier de marine Michel Bégon, le Fuchsia au botaniste allemand du XVIe siècle Leonhart Fuchs, le Magnolia à Pierre Magnol, directeur du jardin botanique de Montpellier…

Charles Plumier
Portrait de Charles Plumier extrait de : Alexandre Savérien, Histoire des philosophes modernes, vol. 8. Histoire des naturalistes, Paris, 1773.

En 1703, paraît son second ouvrage, Nova plantarum americanarum genera, une somme de cent six genres nouveaux ; puis en 1704, son Traité des fougères de l’Amérique accompagné de magnifiques planches signées de sa main. La publication est à titre posthume : en effet, alors qu’il sapprêtait à embarquer pour le Pérou, chargé par Fagon d’une nouvelle étude sur le quinquina, Charles Plumier meurt d’une pleurésie à Cadix en 1703. Il laisse derrière lui des milliers de somptueux dessins de plantes en couleur, largement inédits, aujourd’hui conservés par la bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle et par celle de l’Institut de France sous le titre Americanarum plantarum icones.

Intérêt scientifique, intérêts économiques et politiques

À l’origine de chaque voyage que Charles Plumier effectue aux Antilles, on trouve un ordre du roi le chargeant d’inventorier les richesses naturelles des îles françaises. Cette mission tient compte de son statut de scientifique mais s’inscrit aussi, plus largement, dans une recherche de profit économique et politique : il sagit de repérer des ressources naturelles exploitables, bois, huiles, minéraux, etc. Les institutions savantes que sont le Jardin du roi et l’Académie royale des sciences, qui ordonnent et valident les travaux botaniques de Plumier, sont au service de l’ensemble des intérêts de la Couronne.

Cela fait alors plus d’un demi-siècle que les Français sont installés dans les Petites Antilles, principalement en Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti). D’incessants affrontements les opposent aux autres pays colonisateurs de la mer des Caraïbes, Anglais, Hollandais et Espagnols. Dans les territoires français, Louis XIV, ses ministres et ses intendants s’efforcent d’imposer l’autorité de la Couronne aux propriétaires des grandes plantations. Ces derniers contrôlent la production de sucre de canne, exploitent les esclaves capturés en Afrique et n’hésitent pas à s’associer aux flibustiers. La société des îles antillaises est diverse et instable. Plumier et Surian prennent la mer en 1687 avec un groupe d’ « engagés », des Européens pauvres partis chercher aux « îles d’Amérique » un destin meilleur mais souvent réduits sur place à la misère.

Charles Plumier noue des liens nombreux au cours de ses pérégrinations. Apprécié des administrateurs coloniaux, il reçoit du gouverneur de Saint-Domingue le soin d’avertir le ministre de la Marine, à Paris, des difficultés économiques et militaires que subit l’île. Il converse avec des habitants de toutes catégories, petits cultivateurs et artisans modestes, boucaniers vivant de peu dans les forêts tropicales. Au-delà de ses recherches botaniques, le père Plumier s’implique ainsi dans la vie de la société coloniale, au service du roi comme au service de Dieu, sa vocation initiale.

Charles Plumier
Allain Manesson-Mallet, Description de l’univers, tome 5, Paris, chez Denys Thierry, 1683, p. 323.

Un voyage sur ordre du roi

M. Bégon, si connu des savants, qui trouve au milieu de ses grands emplois des moments à donner à l’étude des sciences, était pour lors intendant des galères à Marseille. Il souhaitait, pour satisfaire aux ordres du Roy, de trouver quelqu’un qui pût faire le voyage de nos îles Antilles (où il avait été intendant) pour y faire la recherche de tout ce que la Nature y produit de plus rare et de plus curieux. Il en fit la proposition à M. Surian, fort capable non seulement dans la connaissance des plantes, mais aussi dans les secrets de la chimie ; et il lui donna en même temps commission de chercher quelqu’un qui fût en état de l’aider dans l’exécution de ce dessein. M. Surian m’en fit la proposition : j’y donnai les mains avec plaisir et nous entreprîmes quelque temps après le voyage par les ordres de Sa Majesté.

Charles Plumier, Description des plantes de l’Amérique avec leurs figures, Paris, Imprimerie royale, 1693, extrait de la préface.

Collecter, rapporter, publier

Il n’est point de visite qui m’ait plu davantage que celle que je fis au père Plumier, que je trouvai dans sa cellule, au couvent des Minimes. Il était rentré sur l’escadre de M. de Pontis et avait rapporté avec lui plusieurs volumes in-folio de dessins et de peintures de plantes, d’oiseaux, de poissons et d’insectes des Indes occidentales tous exécutés par lui-même avec beaucoup d’exactitude. C’est un homme qui a une grande connaissance de l’histoire naturelle, surtout de la botanique. Il avait déjà fait un voyage en Amérique, et avait à son retour imprimé, aux frais du Roi, une description en un volume in-folio des plantes de ce pays. Ce volume fut si goûté, que le Roi l’y renvoya. Il en était revenu après plusieurs années de voyage dans les îles ; mais il fit plusieurs fois naufrage, et eut le malheur de perdre tous les objets qu’il en rapportait, tout en conservant ses papiers, qui heureusement se trouvaient sur un autre bâtiment ; en sorte que ce sont ceux-là seulement que j’ai pu voir. (…)

Dans sa vaste collection de plantes, je remarquai que les lianes et les fougères étaient de beaucoup les plus nombreuses. Il avait un nombre incroyable d’espèces de chacun de ces genres. Il y avait deux ou trois espèces de groseilles et quelques-unes de raisins sauvages, qui toutes, me dit le Père, étaient bonnes à manger. Il avait, me dit-il, dans ses dessins de quoi faire dix volumes aussi gros que celui qu’il avait déjà publié et en outre, deux volumes d’animaux. Il était allé plusieurs fois à Versailles pour tâcher d’obtenir que l’imprimerie royale sen chargeât : il n’avait pu encore y réussir, mais il espérait être plus heureux bientôt. Vous remarquerez que les libraires de Paris ne se soucient pas, ou ne sont pas capables, d’imprimer de l’histoire naturelle : tout ce qui paraît dans ce genre sort de l’imprimerie royale et à ses frais.

Extrait de Martin Lister, Voyage de Lister à Paris en M DC XCVIII, traduit pour la première fois, publié et annoté par la Société des bibliophiles français, Paris, 1873.